Une guerre froide secoue le cœur du protocole Bitcoin
Depuis plusieurs mois, une tension inédite agite le monde feutré du développement Bitcoin.
Derrière les lignes de code, c’est une véritable guerre de vision qui se joue : faut-il garder Bitcoin comme un réseau monétaire pur et minimaliste, ou en faire une infrastructure ouverte, capable d’accueillir toutes sortes d’usages, même controversés ?
Deux camps se font désormais face :
➡️ d’un côté, Bitcoin Core, le logiciel historique et principal du réseau,
➡️ de l’autre, Bitcoin Knots, une version alternative menée par l’intransigeant développeur Luke Dashjr ( co-fondateur de la Pool de minage Ocean).
Et à la clé, un enjeu fondamental : qui décide de ce que “Bitcoin” peut être ?
Bitcoin Core : la neutralité comme principe
Pour comprendre la crise, il faut d’abord rappeler que Bitcoin Core est le cœur battant du réseau.
C’est le logiciel que font tourner la plupart des nœuds à travers le monde, garantissant la validité des transactions et la cohérence du protocole.
Mais depuis plusieurs années, un débat couvait en interne : faut-il restreindre certains usages du réseau, jugés non monétaires ? Ou au contraire, tout autoriser tant que cela respecte les règles du consensus ?
Avec la version Bitcoin Core 30, prévue pour la fin 2025, les développeurs ont décidé de supprimer la limite historique imposée à la taille du champ OP_RETURN, une petite zone dans chaque transaction où l’on peut insérer des données.
Jusqu’ici, cette zone était limitée à 80 octets. Demain, elle pourrait accueillir des données bien plus volumineuses — jusqu’à plusieurs mégaoctets.
L’objectif ?
Laisser davantage de liberté aux développeurs d’applications et aux usages émergents, comme les inscriptions, les timestampings ou certains smart contracts off-chain.
Autrement dit, faire de Bitcoin un socle neutre où chacun peut construire — tant qu’il paie les frais associés.
Luke Dashjr et le retour du “Bitcoin puriste”
Cette décision a mis le feu aux poudres.
À l’origine de la fronde, un nom revient : Luke Dashjr, figure historique du développement Bitcoin, souvent décrit comme un “maximaliste du protocole”.
Développeur depuis plus d’une décennie, Luke Dashjr a créé Bitcoin Knots, une version dérivée de Bitcoin Core, dans laquelle il impose une politique plus stricte :
- limitation du champ OP_RETURN à 42 octets,
- filtrage des transactions jugées “non financières” (inscriptions, images, métadonnées, etc.),
- et un positionnement idéologique clair : Bitcoin n’est pas un stockage de données, mais une monnaie.
Son argument est simple :
« L’espace de bloc doit rester sacré. Si nous laissons tout et n’importe quoi s’y inscrire, Bitcoin deviendra une décharge de données et perdra sa nature monétaire. »
Pour ses partisans, Knots est un rempart contre la dérive “technophile” de Core, qui risquerait selon eux de transformer Bitcoin en une plateforme universelle à la manière d’Ethereum.
Pour ses détracteurs, c’est au contraire une tentative de censure idéologique, contraire à l’esprit de neutralité de Bitcoin.
Le débat derrière le débat : que veut-on protéger ?
Ce conflit technique cache en réalité une bataille philosophique.
Deux visions du futur de Bitcoin s’opposent :
Vision Bitcoin Core | Vision Bitcoin Knots |
---|---|
Bitcoin comme infrastructure neutre : tout usage valide doit être relayé, tant qu’il paie les frais. | Bitcoin comme monnaie souveraine : seules les transactions financières ont leur place dans la blockchain. |
Le marché des frais est la meilleure régulation. | Le filtrage est nécessaire pour éviter le “spam” et préserver la décentralisation. |
Ouvrir Bitcoin à de nouveaux usages (timestamping, rollups, identité numérique, etc.). | Protéger Bitcoin de la “pollution” et du détournement de son espace mémoire. |
Au fond, c’est une question de gouvernance implicite.
Bitcoin n’a pas de conseil d’administration, pas de fondateur actif, pas de hiérarchie formelle.
Mais le choix de l’implémentation logicielle que chacun fait tourner — Core ou Knots — devient une sorte de vote technique sur la direction à suivre.
Une fracture visible dans les chiffres
Jusqu’à récemment, Bitcoin Knots n’était qu’une curiosité marginale, utilisée par quelques centaines de nœuds.
Mais en 2025, sa part a explosé : on compte désormais entre 10 % et 18 % des nœuds publics utilisant Knots.
Une croissance de plus de 600 % en quelques mois.
Un signal fort, selon Cøbra, le pseudonyme de celui qui maintient Bitcoin.org :« Si Core continue à s’éloigner de la neutralité perçue, Knots pourrait finir par devenir le client de référence. »
Cette idée — qu’un fork du client principal puisse supplanter l’original — aurait semblé impensable il y a quelques années.
Mais le malaise est réel.
Et certains craignent désormais un scénario à la Bitcoin Cash, où une scission du réseau provoquerait chaos, confusion et volatilité.
Derrière les lignes de code, la question du pouvoir
Ce qui inquiète de nombreux observateurs, c’est la nature même du désaccord.
Il ne s’agit pas d’un simple paramètre technique, mais d’un désaccord sur la philosophie du protocole.
– Core défend la liberté d’usage et la neutralité.
– Knots défend la pureté monétaire et la discipline technique.
Mais derrière ces postures, une autre question affleure au sein de la communauté bitcoin : Qui a réellement le pouvoir d’orienter Bitcoin ?
- Les développeurs ?
- Les opérateurs de nœuds ?
- Les mineurs ?
- Ou les bitcoiners ?
Car si Bitcoin Core reste dominant, son influence de fait sur la politique du réseau interroge.
Et Knots, en cherchant à limiter ce pouvoir, se présente paradoxalement… comme une autre forme de centralisation autour d’un individu charismatique et controversé.
Le risque d’une guerre plus radicale
Certains voient dans ce conflit une répétition du “guerre des blocs” de 2017 :
les uns prônant la flexibilité et l’adaptation, les autres la rigueur et la continuité.
À l’époque, la querelle avait abouti à la création de Bitcoin Cash — un fork désormais marginalisé.
Mais elle avait laissé des cicatrices durables dans la communauté.
Aujourd’hui, le risque est similaire :
- si Core pousse sa mise à jour coûte que coûte,
- et si Knots refuse de relayer certaines transactions,
alors une chaîne parallèle pourrait voir le jour, créant deux Bitcoin incompatibles.
Un tournant historique pour l’écosystème
D’un côté, la modernisation du protocole est essentielle : Bitcoin ne peut pas rester figé s’il veut rivaliser avec les innovations du monde crypto.
De l’autre, toucher à ses principes fondateurs, c’est risquer d’ouvrir une boîte de Pandore.
Les prochains mois seront donc décisifs.
Core doit publier sa version 30 avant la fin de l’année.
Knots, lui, a déjà annoncé qu’il bloquera par défaut les transactions jugées non monétaires.
Le réseau devra trancher, non pas par un vote, mais par les faits : quelle version la majorité des nœuds choisira-t-elle de faire tourner ?
Conclusion : Bitcoin, un protocole (bien) vivant
Cette crise rappelle une chose essentielle : Bitcoin n’est pas figé.
Il n’est pas “un” logiciel, mais un écosystème d’implémentations, d’humains et d’idées.
Et chaque tension, chaque désaccord, chaque ligne de code contestée est aussi le signe d’un réseau… en vie.
Que l’on soutienne Core ou Knots, une chose est sûre :
Bitcoin continue de forcer l’humanité à poser la question du pouvoir — pas seulement celui de l’argent, mais aussi celui du code.
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