En Afrique, le franc CFA a une histoire complexe et toujours plus controversée. À l’origine le sigle CFA signifiait « franc des Colonies Françaises d’Afrique » avant de prendre une nouvelle dénomination pour » « franc de la Communauté financière Africaine ». Bien que le nom ait changé, la réalité de cette monnaie n’a de cesse de rappeler l’héritage colonial français.
Le Franc CFA, crée en 1945 est une monnaie est toujours plus contestée aujourd’hui, en raison du caractère néo-coloniale qu’elle évoque. Vestige de ce qu’on appelle la « Françafrique« , la monnaie encore imprimée en France en 2024 fait écho à l’interventionnisme politique et à la dépendance économique de certains pays africains avec la France.
Dans le même temps, certains partisans affirment qu’elle dote les pays qui l’utilisent, d’une monnaie stable tout en participant au développement économique de la région.
Dans cet article, nous explorerons les origines du Franc CFA, son évolution au fil du temps et les débats qui demeurent aujourd’hui encore. Plus encore, nous verrons en quoi le Bitcoin peut être une alternative à considérer.
Une monnaie crée à la fin de Seconde Guerre Mondiale
Le Franc CFA est né de la nécessité économique de contrôler les flux de capitaux dans l’empire colonial français et de rationaliser l’émission de monnaie dans les colonies africaines. En signant les accords de Bretton Woods en 1945, la France a créé le Franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA) en fixant sa parité à au Franc Français de l’époque. Alors que la France a abandonné le franc en 1999, le franc CFA a été lié à l’euro la même année.
Aujourd’hui, le Franc CFA – dont le taux de change est fixe – voit sa valeur évoluée de façon parallèle à la monnaie européenne et c’est à Paris que sa convertibilité est contrôlée.
Cette décision a permis à la France de restaurer son autorité monétaire dans les colonies et de pouvoir contrôler les échanges commerciaux. En effet, l’utilisation du franc CFA a grandement facilité les transactions financières et commerciales pour les entreprises françaises opérant dans les pays de la zone franc.
Le temps des indépendances et le rejet du Franc CFA pour certains pays
Au cours des années 50-60, les territoires colonisés ont progressivement obtenu leur indépendance et sont devenus des États souverains. Cependant, la plupart des pays de la zone Franc ont choisi de maintenir le Franc CFA comme leur monnaie nationale. Ce choix s’explique en raison du manque de structure adaptée à cette époque pour la création d’une monnaie nationale. De fait, seuls quatre pays se sont retirés de la zone Franc au moment de leur indépendance, notamment la Guinée en 1960 présidé alors par Ahmed Sékou Touré et la Mauritanie en 1973, qui revendiquaient une souveraineté intégrale conditionnée par l’indépendance monétaire.
Lors de leur sorties vers l’indépendance, les pays du Mabreb ( Algérie, Tunisie et Maroc) ont tous été unanimes pour créer leurs propres monnaies nationales, « l’un des symboles les plus explicites de la souveraineté », comme le rappelle Fanny Pigeaud et Samba Sylla dans » L’arme invisible de la Françafrique« .
Les pays qui sont restés dans la zone Franc se sont regroupés en deux unions monétaires indépendantes : l’UMOA (Union Monétaire des États d’Afrique de l’Ouest), créée en 1962, et l’UMAC (Union Monétaire de l’Afrique Centrale), créée en 1972.
À cette époque, le centre de gravité institutionnel du Franc CFA était ancré à Paris, avec les sièges des deux banques centrales et les réunions semestrielles des ministres des finances de la zone Franc se tenant dans la capitale française.
C’est ici, pour de nombreux experts, un signe flagrant du manque de souveraineté économique et financière de l’Afrique, et ce, malgré les indépendances.
La question de la souveraineté de l’État
Patrice Lumumba, ancien Premier ministre de la République démocratique du Congo a soulevé la question de la souveraineté économique de l’Afrique, y compris le contrôle des devises et des ressources naturelles impliqués indirectement par le Franc CFA.
Dans une même perspective, l’écrivaine et militante malienne Aminata Dramane Traoré a souvent critiqué le franc CFA et son impact sur la souveraineté économique de l’Afrique. Dans son ouvrage « l’Afrique humiliée« , elle plaide en faveur de réformes monétaires visant à renforcer l’autonomie économique des pays africains.
L’économiste sénégalais Demba Moussa pose la question sur le journal Ouest France « Vous imaginez la banque centrale européenne déposer 50 % de ses réserves à Washington ? Cela paraît impensable. Le sort du franc CFA se décide à Paris et à Francfort. Or les priorités pour l’Europe ne sont pas celles des pays africains. »
Rappelons que les billets du franc CFA sont imprimés imprimés par la Banque de France à Chamalières, près de Clermont-Ferrand, en France.
La contestation toujours plus vive du Franc CFA, dénoncé pour « servir les intérêts de la France ».
Le Franc CFA a longtemps été critiqué en Afrique pour son lien avec l’ancien régime colonial français et son impact sur la souveraineté des États membres de la zone Franc. Des voix politiques se sont depuis longtemps indignées contre le Franc CFA comme celles de Thomas Sankara (ancien président du Burkina Faso) ou Félix Houphouët-Boigny (ancien président de la Côte d’Ivoire). La contestation est encore active aujourd’hui, auprès d’activistes et membres de la population civile. Des économistes comme Kako Nubukpo affirment que le Franc CFA témoigne de la « servitude volontaire » des gouvernements envers la France.
Certains activistes et économistes estiment que le Franc CFA limite le développement économique et entrave l’autonomie des pays africains. Ils soulignent notamment le contrôle exercé par la France sur la politique monétaire de la zone Franc et la centralisation des réserves de devises auprès du Trésor public français.
D’autres mécanismes qui découlent de la mise en place du Franc CFA semblent « servir les intérêts de la France » comme le principe de libre transfert. Celui-ci « permet en effet aux entreprises françaises (et maintenant européennes) de rapatrier sans frais leurs profits (voire leurs investissements, lorsque la situation devient défavorable), qui sont du même coup protégés des risques de changes. Un petit nombre d’entreprises françaises ont grandement bénéficié de ce mécanisme. L’Afrique représente ainsi 25% du chiffre d’affaires du groupe Bolloré et 80% de ses profits », comme nous le souligne Dygest.
Des organisations internationales telles que la Commission économique pour l’Afrique (CEA) ou des institutions comme l’ONU ont également examiné et parfois critiqué le système du franc CFA, soulignant les défis qu’il pose en termes de développement économique et de souveraineté monétaire pour les pays africains.
« Dans tous les pays où circulent les francs CFA et comorien, le sous-développement du potentiel humain et des capacités productives est la norme »
Fanny Pigeaud, Ndongo Samba Sylla, « L’arme invisible de la Françafrique »
Le débat du Franc CFA est complexe car certains auteurs soutiennent que le Franc CFA a joué un rôle positif en assurant la stabilité économique et en facilitant les échanges commerciaux au sein de la zone Franc. Ils mettent en avant les avantages de la convertibilité et de la garantie de parité fixe avec l’euro. Sur ce point, les auteurs Fanny Pigeaud et Samba Sylla concluent que « le système CFA n’a stimulé ni l’intégration commerciale entre ses membres, ni leur développement économique, ni leur attractivité économique ».
Vers une alternative au Franc CFA : l’ÉCO
Face aux critiques et à la contestation du Franc CFA, les gouvernements des pays de l’UEMOA ont décidé de trouver une alternative en créant la monnaie appelé ‘ »Éco« . Cette nouvelle monnaie, qui concurrencera également le projet de la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest), vise à apaiser les tensions et à répondre aux préoccupations des activistes et de la société civile africaine.
L’Éco représente une tentative de rupture avec l’héritage colonial et la domination économique de la France. Elle devrait permettre aux pays africains de renforcer leur souveraineté monétaire et de prendre davantage de décisions autonomes en matière de politique économique.
Cependant, en raison de la complexité de la structure économique et financière actuelle des pays membres, la mise en place en place de l’éco est retardé.
Le Bitcoin, une monnaie alternative en Afrique
L’adoption du bitcoin sur le continent est l’une des plus fortes dans le monde selon une étude de Chainalysis. Les populations africaines se montrent particulièrement intéressées par le bitcoin car il répond aux défaillances du système bancaire. Grâce au bitcoin, les individus peuvent bénéficier d’un système financier accessible à tous dans lequel ils peuvent contrôler leurs avoirs (et éviter l’inflation des monnaies nationales) tout en opérant des transactions financières dans le monde entier. C’est d’ailleurs une option très utilisée par la diaspora qui préfèrent utiliser le bitcoin pour envoyer de l’argent aux membres de leurs familles. En terme de développement économique, le bitcoin pourrait également ouvrir de nouvelles opportunités aux pays qui l’adoptent.
Face a ce constat, de nombreuses personnes affirment que le bitcoin pourrait être légalisé dans le continent et servir de monnaie de réserve. C’est notamment l’avis du président de la République centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra qui a décidé de légaliser le bitcoin dans le pays, en 2022. Cependant, la décision a été quelque peu entravé par la BEAC notamment, qui est l’institution centrale responsable de la politique monétaire des pays membres de la CEMAC dont fait partie la République Centrafricaine…
Cependant, d’autres pays à l’instar du Nigeria qui a assouplit fortement sa réglementation envers les cryptomonnaies, pourraient insuffler un nouvel espoir concernant la future légalisation du bitcoin. Au vue des statistiques et de l’ascension prodigieuse du bitcoin dans le continent, il semble que celle-ci soit en effet inéluctable.
Conclusion
L’histoire du Franc CFA en Afrique est marquée par des débats qui s’intensifient toujours plus dans la région. Les critiques concernant la souveraineté des pays africains et la domination économique de la France sont des étendards de révolte politique, comme on a pu le voir récemment avec le coup d’État du Niger. Plus proche encore, le nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomaye, à déclaré vouloir se détacher du franc CFA, et opter pour l’ECO.
Face aux revendications qui se multiplient dans de nombreux pays et notamment au Niger, au Burkina Faso et au Mali, certaines voix affirment que le bitcoin pourrait être une monnaie à considérer. Cela serait alors l’opportunité pour les pays utilisant le franc CFA de retrouver une souveraineté monétaire et d’élargir leurs opportunités commerciales avec le reste du monde.
L’émergence de l’Éco comme alternative au Franc CFA témoigne de la volonté des pays africains de prendre en main leur destin économique et de renforcer leur autonomie. L’avenir de la zone Franc et de l’Éco reste à définir, mais il est clair que la question de la souveraineté monétaire et de la considération du bitcoin à cet égard ne cesse de croître.