Il me faut commencer par une précaution méthodologique et presque morale : Bitcoin n’a pas d’idéologie. Il n’a pas de drapeau, pas de parti, pas de manifeste politique. Satoshi Nakamoto, qu’il soit un individu ou un collectif, n’a jamais laissé la moindre indication sur la couleur politique du protocole. Encore une fois, répétons-le : Bitcoin n’est ni de gauche ni de droite. Il s’agit d’un protocole monétaire neutre, autant qu’Internet lui-même.
Classer Bitcoin à gauche ou à droite revient donc à classer TCP/IP comme conservateur, ou HTTP comme socialiste. C’est absurde, n’ayons pas peur de le dire. Oui, mais d’autres rétorqueront qu’à partir du moment où un logiciel créé une monnaie ( comme c’est le cas de Bitcoin), alors, la neutralité n’a pas sa place…
C’est a considérer car nous vivons dans un monde binaire. Un monde où tout doit être rangé dans un camp. Une époque obsédée par les étiquettes, les identités, les tribus.
Alors, ainsi soit-il : si certaines personnes insistent pour politiser Bitcoin, examinons-le. Non comme un totem idéologique, mais comme un objet social.
Et là, surprise : Bitcoin pourrait très bien séduire la gauche. Peut-être même bien plus que la droite…
Une technologie née d’un refus des concentrations de pouvoir
La gauche critique la concentration des richesses, l’asymétrie du pouvoir et les structures de domination. Cela tombe bien car Bitcoin est littéralement une technologie conçue pour empêcher la concentration du pouvoir.
- Pas de PDG.
- Pas d’actionnaires.
- Pas d’État-central qui émet la monnaie.
- Pas de banque capable de décider qui a accès ou non au système.
C’est un réseau où chaque individu peut participer, vérifier, contester, forker, proposer, construire. Un réseau qui fonctionne par consensus, dans un mode profondément horizontal. Tout le monde est loge à la même enseigne avec bitcoin.
Si l’on enlève le mot “blockchain” du vocabulaire contemporain et qu’on décrit simplement l’organisation du réseau, on dirait presque un rêve anarcho-syndicaliste.
Allez j’ose invoquer les anarchistes, un idéal à la Proudhon, même : « La propriété, c’est le vol », disait-il et voici soudain une monnaie qui n’appartient à personne, donc un peu à tout le monde.
Voici une reformulation plus élégante, plus journalistique et plus percutante :
Bien que Marx et Proudhon se soient opposés sur bien des points, on peut dire que Bitcoin résonne malgré tout avec le rêve marxiste d’un outil économique enfin soustrait à la mainmise d’une classe dominante.
Bitcoin, dans sa structure, ressemble étrangement à ce que ces penseurs imaginaient : une monnaie commune, mise en commun, gérée collectivement par ses participants — impossible à privatiser, impossible à confisquer.
Quoi ? Vous voulez me faire dire ce que j’hésite à formuler ?
Bitcoin serait-il, après tout, une monnaie… communiste, puisqu’il refuse qu’un groupe s’approprie l’infrastructure monétaire ?
Question de point de vue, sans doute.
Peut-être. Et allons même plus loin.
Bitcoin, c’est la première monnaie qui supprime la domination
La gauche s’est toujours demandé : qui contrôle l’émission de la monnaie ?
Il suffit d’écouter un seul discours de Mélenchon pour avoir la réponse. Ce sont les élites. On retrouve parmi eux, les banquiers centraux, les gouvernements, les institutions opaques.
Bitcoin, lui, retire l’émission monétaire des mains humaines. Il la place dans un protocole transparent, accessible, prévisible, une politique monétaire gravée dans le code, impossible à manipuler pour favoriser un groupe contre un autre.
En effet, Marx dénonçait déjà la monnaie comme outil de domination permettant à une petite élite d’extraire une valeur disproportionnée du travail collectif.
« Le capital est du travail mort qui, pareil à un vampire, ne vit qu’en suçant du travail vivant. »
— Karl Marx, Le Capital
Bitcoin, en figeant son offre totale, bloque définitivement la possibilité de créer de la monnaie pour enrichir les possédants au détriment des autres.
C’est un nivellement. Une redistribution implicite du pouvoir monétaire. On ne peut pas rêver mieux dans un monde où l’égalité entre les citoyens est le but recherché.
Bitcoin protège les faibles contre les forts
Maintenant, sortons un instant de la cage mentale de la pensée occidentale dans laquelle nous sommes enfermés. Souvenons-nous que le premier président à avoir fait du Bitcoin une monnaie légale, Nayib Bukele, vient d’une tradition politique marquée à gauche.
Et bien qu’aujourd’hui il se revendique d’une “troisième voie”, ses discours restent imprégnés de thèmes chers à la gauche » inclusion sociale, égalité pour tous » et même sa dérive autoritaire évoque, par certains aspects, les figures historiques des régimes se réclamant de la gauche…
Poussons encore un peu plus loin, géographiquement, et regardons ailleurs :
Argentine, Liban, Nigeria, Turquie, Cuba, Venezuela. Posez-vous simplement la question : Qui souffre de l’inflation ? Plus encore, qui subit les conséquences d’un système structurellement inégal, marqué par la fracture Nord–Sud ?
Toujours les mêmes, me direz-vous : les pauvres, les précaires, les non-bancarisés, les travailleurs qui n’ont aucune marge de manœuvre.
Et qui a le plus besoin de Bitcoin, à votre humble avis ?
Qui l’utilise réellement, massivement ?
Je vais vous le dire : les Nigérians, les Indiens, les habitants de pays pauvres où l’infrastructure bancaire est inexistante ou corrompue.
Ce sont eux — les exclus, les oubliés, les “pestiférés” du système — qui trouvent dans Bitcoin une bouée de sauvetage.
Parce qu’eux ont compris quelque chose avant tout le monde :
Bitcoin est la banque du peuple. Et quand on accepte de sortir de nos œillères, on saisit soudain beaucoup mieux les enjeux.
La gauche a toujours voulu protéger “les petits” contre les structures qui les écrasent. Bitcoin le fait et bien mieux que les politiques publiques, car on ne peut pas l’arrêter en déclenchant une guerre ou en imposant un embargo international…
Le mythe Bitcoin = libertariens de droite
Maintenant on ne peut pas nier que Bitcoin est associé à des libertariens, parfois bruyants, souvent caricaturaux. On pense à Javier Milei mais on pense aussi à Donald Trump. Certes, mais cette association est partielle.
Elle ignore une partie essentielle de l’histoire : Bitcoin a été adopté en premier par les marges.
- Activistes politiques.
- Journalistes menacés.
- Minorités persécutées.
- Femmes dans des sociétés patriarcales (Afghanistan, Iran).
- Communautés exclues du système bancaire.
- Migrants envoyant des remises sans taxe confiscatoire.
Les libertariens ont peut-être vu en Bitcoin un outil de souveraineté individuelle. C’est un fait. Rappelons simplement que la gauche peut voir en Bitcoin un outil de justice sociale, permettant aux vulnérables d’échapper au contrôle abusif.
La gauche pourrait aimer Bitcoin parce que Bitcoin lui ressemble
Cela pourrait bien surprendre la gauche politicienne, la gauche caviar peut-être mais pas la gauche originelle. Celle des penseurs, des travailleurs, des utopistes, des militants, des défenseurs des libertés publiques.
La gauche qui voulait :
- une monnaie juste,
- une économie réellement démocratique,
- une protection des plus vulnérables,
- une limitation du pouvoir arbitraire,
- une lutte contre les monopoles,
- une redistribution du pouvoir
Sur ces points, Bitcoin est peut-être la technologie la plus alignée avec les idéaux de la gauche depuis la naissance d’Internet.
C’est fou de ne pas l’avoir vu..
Mot final
Pour conclure, on peut dire que Bitcoin, c’est le chat de Schrödinger de l’économie politique : capitaliste ou communiste ? Libertarien ou social ?
Émancipateur ou subversif ?
Tout dépend de l’endroit du monde où l’on se trouve et de la classe sociale dans laquelle on vit.
Pour un Argentins ruiné par l’inflation, Bitcoin est un bouclier.
Pour un banquier central, une menace.
Pour un marxiste, un commun des mortels.
Pour un libertarien, l’apothéose de l’individu.
Bitcoin est par-delà la gauche et la droite, et les deux courants à la fois.
C’est pour cela qu’il dérange, fascine, inquiète et libère.
Et c’est peut-être précisément cette ambiguïté, cette nature quantique, qui en fait l’outil politique le plus révolutionnaire du XXIᵉ siècle.