Ines AissaniLa Syrie est un pays marqué depuis 2011 par des conflits armés et une instabilité économique alarmante. Cependant, le 8 décembre 2024 représente un véritable tournant politique pour le pays avec le renversement du régime de Bachar El-Assad. La reddition de son gouvernement fait alors place à un nouveau gouvernement politique qui doit faire face à une inflation galopante et à un système financier en déliquescence absolue. Le pays « a perdu une décennie en termes d’indice de développement humain et son économie est revenue à son niveau des années 80 » selon les Nations unies.
Devant un tel ravage économique, les nouvelles autorités syriennes explorent une voie audacieuse et novatrice : l’adoption du Bitcoin comme pilier de sa reconstruction économique, à l’instar du Salvador, premier pays à avoir légalisé le bitcoin en 2021. Ainsi, en se dotant d’un nouveau drapeau et d’une nouvelle monnaie, le pays semble voir dans le Bitcoin, l’espoir d’un avenir meilleur.
Cette initiative, aussi ambitieuse qu’inattendue, pourrait bien redéfinir l’avenir financier du pays et servir de modèle à d’autres nations confrontées à des défis similaires telles que les guerres.
Quelles seraient les défis et les implications géopolitiques d’une telle décision sur l’économie nationale et mondiale? Pour le gouvernement syrien, le bitcoin et les cryptomonnaies pourraient bien relever les morceaux d’une économie à la dérive.
Pourquoi la Syrie pense à légaliser les cryptomonnaies dans le pays?
Dans ce contexte complexe où la Syrie doit se réinventer après 14 années de guerre, l’adoption du Bitcoin apparaît pour certains comme une solution providentielle, et ce pour plusieurs raisons.
D’une part, la légalisation des cryptomonnaies permettrait de lutter contre l’inflation galopante ( plus de 120% en 2023 ) du pays. La livre syrienne connait une dépréciation massive, ce qui entraine une perte du pouvoir d’achat pour les populations civiles. De la même manière que l’envisage Donald Trump avec une réserve stratégique en bitcoin, la Syrie pense aussi pouvoir profiter d’une réserve nationale en bitcoin.
L’autre point évoqué est la possibilité de contourner les sanctions internationales qui sévissent dans le pays. On sait par exemple que la Russie a été pionnière en acceptant les paiements internationaux en cryptomonnaies, suite à la guerre en Ukraine. À plus petite échelle, grâce au bitcoin, les Syriens de la diaspora pourraient plus facilement envoyer de l’argent à leurs proches restés au pays, stimulant ainsi l’économie locale.
Enfin, l’autre avantage à légaliser le bitcoin tient au fait que cela représenterait une nouvelle façon de moderniser le système financier du pays. Plus encore, cela permettrait d’attirer de nouveaux investissements, en particulier ceux liés à la blockchain et aux technologies émergentes. Cela permettrait aussi d’attirer de nouveaux entrepreneurs par exemple, comme on a pu le voir, avec le VISA octroyé pour les crypto-détenteurs au Salvador.
Tout ces avantages combinés pourraient contribuer à la relance économique du pays, tout en positionnant la Syrie comme un pionnier dans l’adoption du bitcoin, à l’échelle mondiale.
Le plan d’action proposé par le « Centre Syrien pour la Recherche Économique «
Le Centre Syrien pour la Recherche Économique a élaboré une proposition détaillée visant à intégrer le Bitcoin dans l’économie nationale. La proposition témoigne également d’une réelle volonté rationnelle d’adopter le bitcoin dans le pays.
En outre, il a été proposé un cadre juridique clair pour légaliser l’échange, la vente et le minage de Bitcoin et d’autres cryptomonnaies. Des services financiers de la part des banques et des start-ups seraient sollicités pour intégrer le bitcoin dans la nouvelle économie du pays.
Concernant la monnaie nationale, le centre de recherche a proposé une version numérique de la livre syrienne. Le plus grand bouleversement du projet tient au fait que la livre serait triplement adossée à des réserves en dollars, en bitcoin et en or.
Quelles seraient les implications géopolitiques d’une telle décision en Syrie?
L’adoption du Bitcoin par la Syrie aurait des implications géopolitiques significatives car cette décision pourrait tendre davantage les relations avec les pays occidentaux, tout en rapprochant potentiellement la Syrie d’autres nations favorables aux cryptomonnaies. Curieusement, alors que le régime de Bachar El-Assad sous les sanctions américaines, le pays pourrait se rapprocher des USA notamment si la devise est également adossé au dollar américain.
Si cette initiative réussit, la Syrie pourrait devenir un modèle pour d’autres pays de la région confrontés à des défis économiques similaires. C’est notamment le cas de l’Iran qui explore l’utilisation des cryptomonnaies pour le commerce international, pour faire face aux sanctions américaines.
L’adoption du bitcoin en Syrie pourrait aussi dynamiser le Moyen-Orient dans son ensemble et servir de modèle. Des pays comme la Turquie par exemple serait potentiellement intéressé par une initiative similaire. Le pays connait, en effet, une adoption croissante des cryptomonnaies par sa population, en réponse à l’inflation et à l’instabilité économique.
À quoi la Syrie doit-elle s’attendre?
La mise en œuvre technique de ce projet ambitieux pose plusieurs défis et il ne sera pas « facile » d’y faire face, malgré les bonnes volontés. Tout d’abord, le pays sort d’une guerre très lourde, qui a empêché le bon développement de l’infrastructure du pays. Il faudra y remédier dans un premier temps pour faciliter l’intégration des cryptomonnaies.
D’un point de vue lié à la sécurité, il faudra également mettre en place de systèmes de sécurité robustes pour protéger les actifs numériques de l’État et des citoyens. Cela ne se fera pas sans difficultés, une fois encore. Des formations devront être adaptées autant pour l’administration que pour la population.
Une vision optimiste pour la Syrie
L’initiative de la Syrie d’adopter le Bitcoin comme pilier de sa reconstruction économique représente une démarche audacieuse et potentiellement salutaire pour l’ensemble du pays. Elle illustre la recherche de solutions innovantes face à des défis économiques complexes, tout en soulevant des questions importantes sur l’avenir des systèmes monétaires nationaux et internationaux.
Bien que confrontée à de nombreux obstacles, tant techniques que géopolitiques, cette initiative pourrait, si elle réussit, ouvrir la voie à une nouvelle ère dans l’utilisation du bitcoin à l’échelle étatique.
Il s’agit d’un pays entravé par la guerre depuis plus de 14 ans qui doit faire face à de nouveaux paradigmes. Rappelons que le pays vient tout juste de mettre fin à plus de 5 décennies d’un régime marquée par la répression politique.
Le Bitcoin pourrait alors le symbole même d’un renouveau de la Syrie, avec une monnaie forte qui ne peut être « contrôlé » par un État. Pour une population qui a tant souffert de la tyrannie des gouvernements autoritaires qui se sont succédés, cela pourrait avoir un écho tout particulier…
Espérons que les syriens puissent l’entendre de cette façon.
