Le 14 février 2025, le président argentin Javier Milei a créé une onde de choc dans le monde politique et financier en publiant un message sur son compte X (anciennement Twitter) faisant la promotion d’une nouvelle cryptomonnaie appelée $LIBRA.
Dans son message, Milei vantait les mérites d’un « projet privé » visant à « stimuler la croissance de l’économie argentine en finançant les petites entreprises et les entrepreneurs argentins ». Il concluait son tweet par la phrase « Le monde veut investir en Argentine. $LIBRA », faisant directement référence à la nouvelle cryptomonnaie.
Cette publication a immédiatement attiré l’attention des investisseurs, des experts en cryptomonnaies et des opposants politiques de Milei. En effet, il est rare qu’un chef d’État fasse ouvertement la promotion d’un actif financier aussi volatil et controversé qu’une cryptomonnaie, surtout dans un pays comme l’Argentine qui connaît déjà de nombreux problèmes économiques.
L’enthousiasme initial suscité par l’annonce de Milei s’est rapidement transformé en méfiance puis en indignation lorsque les détails du projet $LIBRA ont commencé à émerger. Les experts ont rapidement pointé du doigt plusieurs éléments suspects qui laissaient penser que cette cryptomonnaie pourrait être une arnaque de type pyramidal.
Les premiers soupçons et l’effondrement de $LIBRA
Dans les heures qui ont suivi l’annonce de Milei, la valeur de $LIBRA a connu une hausse spectaculaire, passant de quelques centimes à près de 5000 dollars. Cette augmentation vertigineuse a attiré l’attention de nombreux investisseurs, mais a également éveillé les soupçons des experts en cryptomonnaies.
Javier Smaldone, un informaticien et influenceur argentin reconnu pour sa dénonciation des arnaques pyramidales, a été l’un des premiers à tirer la sonnette d’alarme. Sur son compte X, il a déclaré : « Le président vient de lancer publiquement une arnaque mondiale ». Cette affirmation a rapidement fait le tour des réseaux sociaux et des médias argentins.
Les analystes ont rapidement découvert que près de 80% des jetons $LIBRA étaient détenus par un petit groupe d’initiés avant même l’annonce de Milei. Cette concentration de la propriété est un signe classique d une arnaque.
Après avoir atteint son pic, la valeur de $LIBRA s’est effondrée en quelques heures, laissant de nombreux investisseurs avec des pertes considérables. Selon les estimations de Smaldone, le montant total des pertes de ce rug pull pourrait s’élever à plus de 110 millions de dollars avec plus de 5000 portefeuilles impactés.
La rétractation de Milei et les premières explications
Face à la tempête médiatique et politique qui commençait à se former, Javier Milei a rapidement supprimé son tweet initial et publié un nouveau message dans lequel il tentait de se distancier du projet $LIBRA.
Dans ce nouveau post, le président argentin affirmait : « Je ne connaissais pas les détails du projet et après en avoir pris connaissance, j’ai décidé de ne pas continuer à le diffuser ». Il assurait également n’avoir « évidemment aucun lien » avec l’entreprise privée derrière $LIBRA.
Cette tentative de rétractation semble être une défense bien trop facile pour calmer les critiques. De nombreux observateurs ont souligné qu’il était inadmissible qu’un chef d’État puisse faire la promotion d’un projet financier sans en connaître les détails, surtout compte tenu des enjeux économiques pour l’Argentine. C’est d’autant plus choquant quand le concerné était économiste de profession.
La présidence a rapidement publié un communiqué annonçant la saisine du Bureau anti-corruption pour enquêter sur une éventuelle « conduite inappropriée d’un membre du gouvernement, y compris le président ». Cette démarche visait à montrer la volonté de transparence de l’administration Milei, mais elle a également été perçue comme une tentative de prendre les devants face aux accusations qui commençaient à pleuvoir.
Les réactions de l’opposition et les appels à la destitution
L’opposition politique n’a pas tardé à réagir à ce scandale, qualifié par certains médias de « crypto-scandale ». Cristina Kirchner, ancienne présidente et figure de proue de l’opposition péroniste, a été particulièrement virulente dans ses critiques.
Sur son compte X, Kirchner a qualifié Milei de « crypto-arnaqueur » et l’a accusé d’avoir agi comme « l’hameçon d’une arnaque numérique ». Elle a ajouté : « C’est ça ta liberté de marché… celle du casino. Ton masque est tombé », faisant référence aux promesses de libéralisation économique de Milei.
Le groupe parlementaire de l’Union pour la Patrie (péroniste) à la Chambre des députés a annoncé son intention de déposer une demande de « procès politique » contre Milei, une procédure qui pourrait potentiellement mener à sa destitution.
D’autres partis d’opposition, comme la Coalition civique (centre-droit), ont appelé à la création d’une commission d’enquête spéciale pour « clarifier les faits et déterminer les responsabilités ». Ces demandes reflètent la gravité perçue de l’incident et la volonté de l’opposition d’en tirer un avantage politique.
Les implications légales et éthiques de l’affaire
L’affaire $LIBRA soulève de nombreuses questions légales et éthiques concernant le comportement du président Milei. Plusieurs experts juridiques ont souligné que sa promotion d’une cryptomonnaie pourrait constituer une violation de la loi argentine sur l’éthique publique.
De plus, certains analystes ont évoqué la possibilité que Milei ait pu enfreindre la loi sur les institutions financières, voire commis des délits de blanchiment d’argent et d’escroquerie. Ces accusations, si elles étaient prouvées, pourraient avoir des conséquences graves pour le président argentin.
La question de la responsabilité de Milei dans cette affaire est au cœur des débats. Certains défenseurs du président, comme l’avocat Francisco Onato, ont tenté de minimiser son implication en affirmant que « le président n’a rien promu, il a seulement célébré l’intérêt d’une entreprise pour le marché argentin ».
Cependant, cette ligne de défense a été largement critiquée, notamment par le quotidien La Nacion qui a estimé que le « scandale crypto » laissait Milei « sans aucune explication qui sauve sa responsabilité ».
Les liens présumés entre Milei et les promoteurs de $LIBRA
L’un des aspects les plus troublants de cette affaire concerne les liens présumés entre Javier Milei et les promoteurs de la cryptomonnaie $LIBRA. Des photos circulant sur les réseaux sociaux montrent le président argentin en compagnie de Julian Pe, le PDG de Kip Network, la société à l’origine du projet $LIBRA.
Ces images, prises lors de divers événements, suggèrent que Pe fait partie de l’entourage de Milei, ce qui soulève des questions sur la nature exacte de leur relation et sur la possibilité que le président ait eu connaissance du projet avant sa promotion publique.
Ces révélations ont alimenté les spéculations sur une possible collusion entre Milei et les promoteurs de $LIBRA, renforçant les appels à une enquête approfondie sur l’affaire.
De même, on rappellera que ce n’est pas la premiere fois que Milei fait la promotion d’une arnaque crypto. En effet, peu avant son election, il avait promu sur ses réseaux sociaux une cryptomonnaie qui s était avéré être une arnaque notoire.
L’impact sur la crédibilité de Milei et son agenda politique
Le scandale $LIBRA a porté un coup dur à la crédibilité de Javier Milei, qui avait été élu sur la promesse de lutter contre la corruption et de redresser l’économie argentine. Cette affaire remet en question sa capacité à gouverner de manière éthique et responsable.
De nombreux observateurs politiques estiment que cet incident pourrait compromettre sérieusement l’agenda de réformes économiques de Milei. Son projet de dollarisation de l’économie argentine, déjà controversé, risque d’être encore plus difficile à mettre en œuvre dans ce contexte de méfiance accrue.
La « parole présidentielle », comme l’a souligné le journal La Nacion, semble avoir été « démolie en un temps record », ce qui pourrait avoir des conséquences durables sur la capacité de Milei à rallier le soutien nécessaire pour ses politiques futures.
Les conséquences pour le marché des cryptomonnaies en Argentine
L’affaire $LIBRA a également eu des répercussions importantes sur le marché des cryptomonnaies en Argentine. Le pays, qui connaît depuis longtemps une inflation galopante et une instabilité monétaire chronique, avait vu un intérêt croissant pour les cryptomonnaies comme alternative au peso argentin.
Cependant, ce scandale risque de freiner cet engouement et de renforcer la méfiance envers les actifs numériques. Les régulateurs argentins pourraient être amenés à durcir la réglementation sur les cryptomonnaies, ce qui pourrait avoir des conséquences à long terme sur le développement de ce secteur dans le pays.
Les réactions internationales et l’image de l’Argentine
Le scandale $LIBRA a également eu des répercussions au-delà des frontières de l’Argentine. La communauté internationale des investisseurs et des analystes financiers a suivi de près cette affaire, qui a renforcé les inquiétudes sur la stabilité politique et économique du pays.
Plusieurs médias internationaux ont couvert l’affaire, soulignant les risques potentiels pour les investisseurs étrangers en Argentine. Cette publicité négative pourrait avoir des conséquences sur la capacité du pays à attirer des investissements étrangers, un élément crucial pour la stratégie économique de Milei.
Conclusion : Un tournant dans la présidence de Milei
L’affaire $LIBRA représente un tournant majeur dans la présidence de Javier Milei. Ce qui a commencé comme une simple promotion sur les réseaux sociaux s’est transformé en un scandale national aux implications potentiellement dévastatrices.
Cette affaire soulève des questions importantes sur l’éthique en politique, la régulation des cryptomonnaies et la responsabilité des dirigeants dans l’ère numérique. Elle met également en lumière les défis auxquels font face les économies émergentes comme l’Argentine dans leur quête de stabilité financière et de croissance économique.
Alors que l’enquête se poursuit et que les conséquences politiques continuent de se déployer, une chose est certaine : l’affaire $LIBRA laissera une marque indélébile sur la présidence de Milei et sur le paysage politique argentin dans son ensemble.