L’idée d’un revenu de base universel n’est pas nouvelle et certains projets tentent de le mettre en place avec des cryptomonnaies. Parmi ces projets, il y a un qui est de loin le plus controversé. Il s’agit du projet appelé WorldCoin qui promet de distribuer des cryptomonnaies à tous les individus dans le monde, sans aucune restriction.
Si WorldCoin est controversé, ce n’est pas tant pour l’idée de distribuer des revenus en cryptomonnaies que de la façon dont la société compte s’y prendre. Le problème est tient au moyen et non à la fin. En effet, Worldcoin propose de « scanner » les yeux de chaque participant pour pouvoir créer une identité unique numérique. Tout comme l’empreinte digitale sert à identifier les personnes dans le registre administratif, l’iris servirait à WorldCoin à pouvoir identifier chaque personne de manière unique.
Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que certains y voient un risque de surveillance de masse et une entrave des libertés fondamentales.
Est-ce que WorldCoin est un nouvel outil d’un Big Brother numérique ou est-ce un projet innovant et ambitieux en terme d’identité numérique qu’il convient d’analyser objectivement ?
Quel est l’objectif du projet WorldCoin ?
Wordlcoin est largement financé et soutenu par « Tools for Humanity« , une société spécialisée dans le développement de logiciel technologique, fondée en 2020 en Californie. Le CEO et co-fondateur Alex Blania, a lancé WorldCoin dans le but d’accroître l’adoption de masse en offrant à tous des cryptomonnaies.
WordCoin est actuellement dirigé par Sam Altman, un ancien membre du Y Combinator, l’un des plus grands incubateurs de startups de la Silicon Valley. Sam Altman est surtout connu pour être le cofondateur de la plateforme OpenAI, qui a développé ChatGPT.
Afin d’éviter les fraudes à l’inscription, WorldCoin à décidé de mettre en place un moyen radical pour vérifier les identités des participants. Il s’agit de ce qui est appelé le « Proof-of-Personhood » (PoP) qui consiste à numériser les identités en scannant les yeux des participants. WorldCoin a développé un appareil dédié appelé « Orb » qui scanne les iris de de chaque participant, afin d’éviter la création de comptes multiples par une seule et même personne. Une fois l’iris scanné, l’utilisateur est éligible et peut télécharger le portefeuille de l’organisation pour recevoir les cryptomonnaies de WorldCoin.
WorldCoin a déjà scanné l’iris et collecté les données personnelles de plus de 1, 500 000 personnes aujourd’hui, partout dans le monde, et principalement en Europe et en Amérique Latine. L’organisation recrute continuellement des nouvelles personnes pour effectuer les scans, à travers le monde en leur fournissant des orbs.
Les personnes qui ont scanné leur iris ont reçu entre 20 et 25 dollars, dont 5 dollars en jetons Worldcoin (WDC). Le jeton Worldcoin est un jeton de norme ERC-20, développé sur la blockchain Ethereum. Le token n’est pas listé (pour le moment) sur des plateformes d’échanges et son cours n’est pas disponible sur les fournisseurs données cryptographiques.
En quoi Worldcoin est-il problématique ?
WorldCoin a suscité de nombreuses controverses basées sur la crainte d’une utilisation commerciale des données biométriques et sur les risques de piratage de celles-ci. Le lanceur Edward Snowden, s’est montré critique envers le projet et a dénoncé sur Twitter la pratique jugée fallacieuse et dangereuse de WorldCoin.
Il a rappelé que les données biométriques personnelles puissent être volées par des personnes mal intentionnées. En effet, selon le projet, le protocole de preuves à divulgation nulle de connaissance (zero-knowledge proofs), permettant de rendre anonymes les données, ne serait appliqué que durant la « Phase 2 » de développement du projet. Ainsi, en attendant, les données des individus qui ont accepté de scanner leurs iris sont potentiellement exposées à des risques de piratage. Certaines préconisent l’usage d’autres solutions pour vérifier les identités uniques comme le sont les « soulbound » token par exemple.
Pour se défendre, les fondateurs de WorldCoin précise qu’il s’agit d’une collecte d’information moins dangereuse que celle qui est collecté lorsqu’une personne navigue sur internet. La photo prise par la machine orb est convertie et chiffré en un code numérique. Le code numérique n’est pas lié au wallet crypto de l’utilisateur ou à ses transactions. Worldcoin a affirmé que “Contrairement aux entreprises qui vous demandent énormément d’informations personnelles, le scan de votre œil sera la seule information dont l’orbe aura besoin pour vous offrir votre récompense en cryptomonnaie”.
Plus encore, les fondateurs affirment que l’empreinte rétinienne est idéale pour attester l’identité d’une personne. La reconnaissance par l’ris est environ 10,000 fois plus précise que la reconnaissance faciale.
C’est semble-t-il ce qui intéresse particulièrement les fonds d’investissements, tels que Coinbase, Andreessen Horowitz ou Khosla Ventures qui ont ont injecté plus de 125 millions de dollars pour lancer le projet.
Le Worldcoin atteindra-t-il son objectif ?
Dans les premières descriptions du projet, WorldCoin semble être un projet humaniste, avec la volonté de distribuer un revenu de base à tous les habitants de cette planète. Dans l’absolu, le scan rétinien pourrait être intéressant d’un point de vue technologique, si réellement, il s’avère plus pratique et plus pertinent que l’empreinte digitale ou la reconnaissance facile.
Cependant, en y regardant de plus près, l’idée de scanner son oeil pour prouver son identité reste très problématique, à plusieurs égards. D’un point de vue philosophie et morale, la collecte d’informations personnelles par une entreprise privée pose aussi la question de la légitimité. Est-ce qu’une entreprise privée détenue par des investisseurs peut posséder des informations biométriques sans que la question de la vie privée ne soit remise en question? Qu’en est-il de la garantie que les données ne soient pas exploitées à des fins commerciales par exemple?
De plus, au-delà de l’empreinte biométrique, c’est aussi la question du business model qui faut défaut. Pour distribuer un revenu de base, encore faut-il déployer une ressource financière conséquente. Sam Altman a déclaré au journal Wired que les revenus pourraient provenir des profits réalisées par les activités liées à l’intelligence artificielle. Cependant, cela reste encore flou et peu convainquant selon Anna Stone, membre de l’ONG « Good Dollar » qui se donne également pour mission d’offrir un revenu de base universel en cryptomonnaie.
Plus encore, le fait que le fondateur du projet soit également le fondateur d’OpenAi peut nous faire craindre que les données collectées par WorldCoin soit également exploitée par l’intelligence artificielle. Le token Worldcoin sera-t-il une cryptomonnaie basée sur l’intelligence artificielle (IA)? Nous ne connaissons pas les intentions réelles du fondateur et des connexions avec les autres projets liés à l’intelligence Artificielle.
Enfin, certains critiquent également l’ambition de faire du WorldCoin une monnaie universelle, dans la mesure où la cryptomonnaie bitcoin semble tout à fait pertinente pour avoir ce rôle et cette fonction. À la différence de WorldCoin, Bitcoin est une monnaie décentralisée, qui ne collecte aucunes données personnelles et qui fournit depuis plus d’une décennie, un système financier solide accessible à tout le monde…
Pour aller plus loin :
- Finally, a cryptocurrency for everyone on the planet, Wired
- Deception, exploited workers, and cash handouts: How Worldcoin recruited its first half a million test users, MIT
- Le Bitcoin, une alternative aux système de paiement traditionnel
- Bitcoin est pseudonyme : 5 façons de révéler votre identité
- Sans les femmes, le Bitcoin ne peut devenir une « monnaie universelle »
- Qu’est-ce qu’une adresse LNURL et comment en obtenir une?